Des droits
pour les
Vivants

Aussi longtemps que les lions n’auront pas d’historiens,

les récits tourneront toujours à la gloire du chasseur.

PROVERBE AFRICAIN

Jusqu’à présent, les humains ne sont pas parvenus à vivre naturellement en harmonie avec les autres espèces présentes sur Terre.

Comme dans de nombreux domaines, on peut toutefois espérer pacifier nos rapports en nous obligeant culturellement à respecter la Nature : en légiférant et ainsi en nous rendant responsables de nos actes – et de nos destructions – vis-à-vis de la Nature, on peut imaginer avancer dans la bonne voie.

Mais, pour cela, il faut des droits. Et des droits pour la Nature, il n’en existe pas de reconnus. Pas de droits, cela veut dire pas d’existence aux yeux de la loi.

Cette constatation en dit long sur l’idée que nous nous faisons de la Nature au sein de nos sociétés.

LES CONSÉQUENCES DRAMATIQUES DE L’ABSENCE DE DROITS POUR LES VIVANTS

On comprend bien la logique sous-tendue derrière le fait de ne pas attribuer de droits aux animaux ni au Vivant dans son ensemble : tant qu’il n’y a pas de droits, il ne peut y avoir de crimes commis, donc pas de causes à juger.

Par conséquent, ceux qui détruisent et pillent à des fins personnelles ou économiques peuvent continuer à le faire sans risquer d’être inquiétés pour leurs actes.

De fait, si on reconnaissait des droits aux espèces vivantes, nombreuses seraient les organisations à se succéder sur le banc des accusés et les tribunaux seraient submergés par le nombre de dossiers à traiter.

C’est aussi la raison pour laquelle cette revendication, bien que défendue depuis de nombreuses années par différentes organisations environnementales et soutenue très largement par les populations subissant des destructions, n’a jamais obtenu de reconnaissance de la part des États : il existe une complicité tacite entre les industries destructrices des vivants et les politiques institutionnelles qui les cautionnent ; des droits pour les vivants remettraient en question tout le système capitaliste.

LA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE LA TERRE MÈRE

Des droits ont pourtant été définis pour donner une existence juridique à la Terre et à ses occupants ; et cette Constitution est d’autant plus intéressante qu’elle a été pensée de façon à sortir de l’anthropocentrisme (tous les droits jusqu’à présent dans les pays occidentaux ont été pensés à partir des interactions avec les humains).

Ces droits apportent une reconnaissance et une existence juridique véritable aux êtres vivant sur la planète.

Ils nous invitent à repenser intégralement nos interactions avec les autres espèces et à considérer chacune de nos décisions et actions en fonction des conséquences induites pour les autres espèces.

Ce biocentrisme nous oblige à nous responsabiliser pour prendre soin de la Terre et de ses occupants (comprenant bien sûr les humains). 

L’instauration de droits pour la Nature ne doit pas attendre d’être légitimée par les États pour exister dans nos quotidiens. Aussi, cette déclaration peut-elle servir de référence pour les aventures qui se mettent en place au sein de la désobéissance fertile. 
Nous suggérons d’en imprimer les articles et de les disposer dans les lieux de vie et d’échanges, pour en retenir les fondements et nous habituer aux changements de comportements à réaliser.
 
En établissant ces droits et en travaillant à leur application quotidienne, à l’image des rares nations ayant adopté ces droits dans leur Constitution, nous pourrons faire évoluer durablement nos sociétés vers un symbiocène − une ère dans laquelle les humains vivront en symbiose avec les autres espèces vivantes.

Voici donc les premiers articles de la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère, adoptée en 2010, lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique, à l’initiative des peuples amérindiens qui demandent leur adoption par l’Assemblée générale des Nations unies :

Préambule

Nous, peuples et nations de la Terre :

  • Considérant que nous faisons tous partie de la Terre Mère, communauté de vie indivisible composée d’êtres interdépendants et intimement liés entre eux par un destin commun ;
  • Reconnaissant avec gratitude que la Terre Mère est source de vie, de subsistance, d’enseignement et qu’elle nous prodigue tout ce dont nous avons besoin pour bien vivre ;
  • Reconnaissant que le système capitaliste ainsi que toutes les formes de déprédation, d’exploitation, d’utilisation abusive et de pollution ont causé d’importantes destructions, dégradations et perturbations de la Terre Mère qui mettent en danger la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui par des phénomènes tels que le changement climatique ;
  • Convaincus que, dans une communauté de vie impliquant des relations d’interdépendance, il est impossible de reconnaître des droits aux seuls êtres humains sans provoquer de déséquilibre au sein de la Terre Mère ;
  • Affirmant que pour garantir les droits humains il est nécessaire de reconnaître et de défendre les droits de la Terre Mère et de tous les êtres vivants qui la composent et qu’il existe des cultures, des pratiques et des lois qui reconnaissent et défendent ces droits ;
  • Conscients qu’il est urgent d’entreprendre une action collective décisive pour transformer les structures et les systèmes qui sont à l’origine du changement climatique et qui font peser d’autres menaces sur la Terre Mère ;
  • Proclamons la présente Déclaration universelle des droits de la Terre Mère et appelons l’Assemblée générale des Nations Unies à l’adopter comme objectif commun de tous les peuples et nations du monde, afin que chaque personne et chaque institution assume la responsabilité de promouvoir, par l’enseignement, l’éducation et l’éveil des consciences, le respect des droits reconnus dans la Déclaration, et à faire en sorte, par des mesures et des dispositions diligentes et progressives d’ampleur nationale et internationale, qu’ils soient universellement et effectivement reconnus et appliqués par tous les peuples et États du monde.

Article 1: La Terre Mère

  1. La Terre Mère est un être vivant.

2. La Terre Mère est une communauté unique, indivisible et autorégulée d’êtres intimement liés entre eux, qui nourrit, contient et renouvelle tous les êtres.

3. Chaque être est défini par ses relations comme élément constitutif de la Terre Mère.

4. Les droits intrinsèques de la Terre Mère sont inaliénables puisqu’ils découlent de la même source que l’existence même.

5. La Terre Mère et tous les êtres possèdent tous les droits intrinsèques reconnus dans la présente Déclaration, sans aucune distinction entre êtres biologiques et non biologiques ni aucune distinction fondée sur l’espèce, l’origine, l’utilité pour les êtres humains ou toute autre caractéristique.

6. Tout comme les êtres humains jouissent de droits humains, tous les autres êtres ont des droits propres à leur espèce ou à leur type et adaptés au rôle et à la fonction qu’ils exercent au sein des communautés dans lesquelles ils existent.

7. Les droits de chaque être sont limités par ceux des autres êtres, et tout conflit entre leurs droits respectifs doit être résolu d’une façon qui préserve l’intégrité, l’équilibre et la santé de la Terre Mère.


Article 2 : Les Droits Inhérents de la Terre Mère

  1. La Terre Mère et tous les êtres qui la composent possèdent les droits intrinsèques suivants :
    • le droit de vivre et d’exister ;
    • le droit au respect ;
    • le droit à la régénération de leur biocapacité et à la continuité de leurs cycles et processus vitaux, sans perturbations d’origine humaine ;
    • le droit de conserver leur identité et leur intégrité comme êtres distincts, autorégulés et intimement liés entre eux ;
    • le droit à l’eau comme source de vie ;
    • le droit à l’air pur ;
    • le droit à la pleine santé ;
    • le droit d’être exempts de contamination, de pollution et de déchets toxiques ou radioactifs ;
    • le droit de ne pas être génétiquement modifiés ou transformés d’une façon qui nuise à leur intégrité ou à leur fonctionnement vital et sain ;
    • le droit à une entière et prompte réparation en cas de violation des droits reconnus dans la présente Déclaration résultant d’activités humaines.

2. Chaque être a le droit d’occuper une place et de jouer son rôle au sein de la Terre Mère pour qu’elle fonctionne harmonieusement.

3. Tous les êtres ont droit au bien-être et de ne pas être victimes de tortures ou de traitements cruels infligés par des êtres humains.


Article 3 : Obligations des êtres humains envers la Terre Mère

  1. Tout être humain se doit de respecter la Terre Mère et de vivre en harmonie avec elle.

2. Les êtres humains, tous les États et toutes les institutions publiques et privées ont le devoir :

    • d’agir en accord avec les droits et obligations reconnus dans la présente Déclaration ;
    • de reconnaître et de promouvoir la pleine et entière application des droits et obligations énoncés dans la présente Déclaration ;
    • de promouvoir et de participer à l’apprentissage, l’analyse et l’interprétation des moyens de vivre en harmonie avec la Terre Mère ainsi qu’à la communication à leur sujet, conformément à la présente Déclaration ;
    • de veiller à ce que la recherche du bien-être de l’homme contribue au bien-être de la Terre Mère, aujourd’hui et à l’avenir ;
    • d’établir et d’appliquer des normes et des lois efficaces pour la défense, la protection et la préservation des droits de la Terre Mère ;
    • de respecter, protéger et préserver les cycles, processus et équilibres écologiques vitaux de la Terre Mère et, au besoin, de restaurer leur intégrité ;
    • de garantir la réparation des dommages résultant de violations par l’homme des droits intrinsèques reconnus dans la présente Déclaration et que les responsables soient tenus de restaurer l’intégrité et la santé de la Terre Mère ;
    • d’investir les êtres humains et les institutions du pouvoir de défendre les droits de la Terre Mère et de tous les êtres ;
    • de mettre en place des mesures de précaution et de restriction pour éviter que les activités humaines n’entraînent l’extinction d’espèces, la destruction d’écosystèmes ou la perturbation de cycles écologiques ;
    • de garantir la paix et d’éliminer les armes nucléaires, chimiques et biologiques ;
    • de promouvoir et d’encourager les pratiques respectueuses de la Terre Mère et de tous les êtres, en accord avec leurs propres cultures, traditions et coutumes ;
    • de promouvoir des systèmes économiques qui soient en harmonie avec la Terre Mère et conformes aux droits reconnus dans la présente Déclaration.


Article 4 : Définitions

Le terme “être” comprend les écosystèmes, les communautés naturelles, les espèces et toutes les autres entités naturelles qui font partie de la Terre Mère.

Rien dans cette Déclaration ne limite la reconnaissance d’autres droits intrinsèques de tous les êtres ou d’êtres particuliers.

Découvrez le livre

Ces préconisations et concepts sont plus largement explorés dans le livre que nous avons consacré à la désobéissance fertile.

Véritable manifeste doublé d’un guide pratique et juridique pour s’installer en nature, ce livre nous accompagne pour devenir des gardiens des territoires.